Good Bye Momento
Il
y a quelques années, j'ai vu le reportage « Ouvrières
du monde ». Ca raconté les techniques de
licenciement de Lewis en Belgique et en France, et la délocalisation
de ses usines en Turquie et en Asie. Alors même que
l'entreprise fait des bénéfices records et qu'elle
refuse d'être cotée en bourse pour ne pas avoir à
publier ses comptes.
J'ai
vu ce soir là des ouvrières pleurer parce qu'elles
perdaient leur emploi. Un emploi pourtant rude, difficile, derrière
des machines à coudre toute la journée, répétition
infinie des mêmes gestes...
A
l'époque, je ne comprenais pas pourquoi ses femmes-là
pleuraient, j'aurais été heureux à leur place de
perdre un emploi aussi pourri!
Maintenant
je les comprends. Je les comprends parce que j'ai grandi comme on
dit.
J'ai travaillé 7 mois au Momento, c'est un bar-restaurant au dessus de la Nef Chavant. J'ai démissionné il y a trois semaines. Étudiant la journée, j'avais du mal à assumer une vie le jour et une autre le soir. Mon couple lui aussi en souffrait. De plus, j'ai eu l'honneur d'être chargé de mission à la vie étudiante pour l'université Pierre Mendès France. Trop de responsabilités, pour pouvoir mener de front, mon boulot et mes études. Mais J'étais trop amoureux de ce lieu pour le quitter, j'ai donc mis des mois avant de mettre en acte ce que je pensais être le mieux, c'est-à-dire arrêter de travailler le soir. Mais ce n'est pas la seule motivation de ma démission.
J'ai
harcelé le directeur pendant 5 mois pour travailler là
bas, j'en avais envie plus que tout au monde à l'époque.
C'était le lieu de Grenoble, celui où il fallait être
vu mais aussi celui où la musique cassait tout. Un lieu où
l'on pouvait aussi bien siroter un cocktail que manger de bons plats.
Les riches côtoyaient les gens moins aisés. Les gens
venaient au Momento, pour l'ambiance et aussi pour apprécier
un lieu qui a été travaillé jusqu'au bout, musique et
déco, même le personnel était dans cette
ambiance.
J'ai
donc voulu faire partie de cette équipe, rythmer mes nuits aux
sons d'Odessa ou de David.
Ca
a été jusqu'à présent, ma plus belle
expérience professionnelle. D'ailleurs, elle ne se cantonne
pas seulement à un boulot, ce fut une aventure humaine, un
moment de vrai partage. En dépit nos différences, nous
étions unis, j'étais à l'aise, j'avais pas peur
de faire mes preuves, de me tromper ou de rater quelque chose, on se
soutenait et même s'il y avait des tensions entre nous, elles
étaient apaisées par beaucoup d'affection les uns
envers les autres.
Aujourd'hui,
ils me manquent tous. C'est très dur de bosser ailleurs, je
me sens pas à ma place comme je m'y sentait là bas. Je ne sais
pas pourquoi il y a eu cette osmose...
Pourquoi
suis-je parti alors ?
Et
bien, ce lieu magnifique est vendu, je pouvais pas en supporter
l'idée, j'ai préféré partir avant d'en
voir la fin. Le voir mourir à petit feu me semblait
insurmontable. C'est drôle comme ça peut prendre aux
tripes un boulot parfois, c'est pour ça que je comprends ces
ouvrières. Aujourd'hui j'ai le coeur lourd de voir que ce lieu
va s'éteindre... J'en veux au propriétaire d'ailleurs,
il a eu la volonté de le créer, mais pour le laisser
pourrir et mourir comme ça, quel manque de courage! Nous, les
employés, nous aimions ce lieu beaucoup plus que le patron... Je
vous comprends, vous tous, travaillant dur, dans des conditions
souvent difficiles. Je comprends la douleur de voir disparaître
la chose où vous avez mis tout votre être... Ce soir je
vous comprends du fond du coeur. Parce que ce soir... J'ai comme un trou dans le coeur.